Inclusion : relation entre les enseignants de l’éduction nationale et enseignants spécialisés

Publié le jeu 20 Juin 2019

Les liens entre enseignants de l’éducation nationale et enseignants spécialisés pour rendre l’école plus inclusive

Actions, réflexions

 

La loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a fait du concept d’école inclusive une ambition majeure. Comme le rappelle Serge Thoazet[1], le terme d’inclusion suppose « une conception de la scolarisation au plus près de l’école ordinaire, qui suppose non seulement l’intégration physique et sociale, mais aussi pédagogique afin de permettre à tous les élèves d’apprendre dans une classe correspondant à leur âge ceci quel que soit leur niveau scolaire.

Ainsi, l’école ordinaire se doit d’accueillir tous les jeunes en s’adaptant aux besoins de chacun. Pour autant, cela n’est pas si simple comme l’a rappelé la commission « éducation et scolarité » du Conseil National consultatif des personnes handicapées (CNCPH) : il reste en effet « beaucoup, et même énormément à faire pour que notre école, de la maternelle à l’enseignement supérieur devienne authentiquement inclusive[2] ». C’est pourquoi, elle  préconise, entre autres, de développer le partenariat entre le secteur médico-social et l’éducation nationale afin de mettre en place des dispositifs adaptés aux besoins de chaque élève.

Pour mener à bien sa mission, les enseignants des classes doivent pouvoir recevoir l’aide des personnes ressources expertes en fonction des besoins particuliers de ses élèves.

L’institut Plein Vent de Saint-Étienne s’inscrit pleinement dans cette démarche en proposant des temps d’Information sur la surdité en début d’année auprès des partenaires (enseignants, des Auxiliaires de Vie Scolaires, des surveillants), mais aussi à destination des élèves des classes. Les professeurs CAPEJS se rendent disponibles pour être en lien avec les enseignants, proposent des adaptations de cours, de contrôles, parlent des des conséquences de la surdité sur l’acquisition de la langue, expliquent l’intérêt du micro HF…

Il arrive même que ce partenariat puisse déboucher sur de la co-animation de séance comme nous allons l’illustrer dans cette expérience de terrain.

Petit garçon en train d’utiliser la langue des signes française (LSF) pour dialoguer avec son frère atteint de surdité.
La LSF utilise des signes pour désigner des mots mais aussi la dactylologie (chaque lettre de l’’alphabet est représentée par une position définie des doigts de la main permettant ainsi d’épeler un mot) et la lecture labiale. Le jeune garçon désigne la lettre « k » (cf image n°0833202 et série d’images du n°0572308 à 0573508 pour voir les autres lettres de l’alphabet).

 

C’est l’histoire d’une enseignante spécialisée, professeure CAPEJS en unité externalisée d’enseignement. C’est l’histoire d’une bonne entente, d’une complicité qui s’est créée au fil du temps, d’une envie commune de collaborer, d’une envie commune de co-construire, de partager (nos difficultés, nos outils, nos compétences), de travailler ensemble. C’est aussi l’histoire de désaccords, de disputes parfois, de nombreux fou-rires aussi !

 

Une séquence de sciences, de technologie plus précisément : les engrenages. Peu inspirant au départ, pour l’une comme pour l’autre qui sommes plutôt des littéraires … mais… programme oblige… Ensemble nous cherchons, nous montons la séquence : le plus de manipulations possibles, le plus de visuel possible (j’ai mes élèves sourds – 4 – elle a ses élèves en difficulté, ses élèves « dys »…) ; beaucoup de lexique, des notions pas forcément simples à comprendre (transmission du mouvement et ses propriétés, vitesse de rotation, sens de rotation, démultiplication de la vitesse, surmultiplication, engrenage sur un plan vertical, horizontal …. Le travail de groupe et les expériences s’imposent rapidement ; nous sommes 2 adultes, nous nous répartissons la gestion des groupes. Comme nous avons monté la séquence ensemble, il nous est facile pour l’une comme pour l’autre d’intervenir, de faire avancer les jeunes lorsqu’ils sont bloqués. Des mots de vocabulaire qui bloquent chez les enfants sourds ? Des explications, des consignes non comprises ? Je suis là pour remédier, j’utilise la Langue des Signes Française pour certains, la Langue Parlée Complétée pour d’autres, de la Dynamique Naturelle de la Parole pour d’autres encore.  Nous savons toutes deux où nous devons arriver. Fin de séance, tous nos élèves semblent avoir compris et appris quelque chose. Au cours de la séance de soutien avec mes élèves sourds, je les aide à mémoriser les notions et le vocabulaire spécifique, à mettre en place une méthodologie, à adapter la trace écrite de la leçon en utilisant notamment les cartes mentales.

 

Séance suivante, peu d’élèves entendants semblent avoir appris leur leçon, semblent se souvenir de ce que nous avons fait et découvert précédemment ! Certains peuvent réciter mais comprennent-ils ce qu’ils disent ? Ils n’arrivent pas à appliquer ce qu’ils disent aux exercices de mise en pratique ! Beaucoup n’arrivent pas à reformuler avec leurs propres mots ! Je montre alors à ma collègue la trace et la façon dont mes élèves ont appris leur leçon. Tentée par l’expérience mais peu aguerrie à cette méthode, elle me demande alors de prendre la séance suivante en main et de proposer cet outil à ses élèves. C’est donc une séance de remédiation « à 4 mains » que nous proposons : pendant que je propose une méthodologie aux élèves en les aidant à se rappeler, à visualiser des moments de manipulations, à utiliser des images mentales pour ceux à qui « ça parle », à mettre des images, du sens sur le vocabulaire spécifique, à faire du lien entre les notions,  à reformuler, ma collègue s’emploie à mettre en forme une trace au tableau. Celle-ci est bien le fruit de la production des élèves : ce sont eux qui proposent un contenu et une forme de trace qui peut ressembler à une forme de carte mentale. Nous leur proposons ensuite de réaliser une trace sur leur cahier, certes, inspirée de la nôtre, mais qui soit la leur, qui leur parle. Ils ont le droit d’utiliser les couleurs, les formes, les dessins qu’ils souhaitent ; ils doivent se raconter une histoire ; comme c’est compliqué ! Cette possibilité de faire, comme eux le souhaitent !…, ils n’en ont pas l’habitude… ils sont un peu perdus…puis très vite, certains se saisissent de l’opportunité, puis d’autres, et encore d’autres … Beaucoup disent à la fin qu’ils ont ENVIE d’apprendre et de revisiter leur leçon, que les notions et les liens sont plus clairs. Séance suivante, presque tous peuvent réexpliquer la leçon, reformuler, sans trace sous les yeux, peuvent réinvestir leurs connaissances dans des manipulations plus complexes. Ils demandent à ce que nous renouvelions l’expérience.

 

Alors certes, dans une classe de 32 élèves, cette méthode n’est pas toujours aisée à mettre en place, et demande du temps. Mais nous sommes réellement convaincues que ces temps que nous prenons à co-construire les séquences, à remédier, à proposer des outils différents et adaptés à tous nos élèves (sourds comme entendants) ne sont pas perdus. Tous y trouvent un intérêt ; quant à moi, mes temps de soutien ont été réduits tout au long du reste de la séquence. Les enfants sourds que j’accompagne se retrouvent dans la façon dont les dernières séances sont menées, dans la trace élaborée. L’évaluation a été conçue de la même manière ; je l’ai adaptée (dans la forme essentiellement) pour mes élèves qui en avaient besoin mais également pour certains élèves en difficulté de ma collègue. Mes élèves n’ont pas l’impression d’être traités différemment, ont moins d’appréhension à l’idée d’aller en inclusion dans cette classe de sciences. Nous essayons de renouveler l’expérience dès que nous le pouvons. Cela nécessite beaucoup de temps de préparation, de la volonté de faire ensemble, de la confiance entre les enseignants partenaires. Mais c’est possible !!

Sabine Bretin, enseignante CAPEJS

Institut Plein Vent, Saint-Étienne

 

[1] De l’intégration à l’inclusion. Une nouvelle étape dans l’ouverture de l’école aux différences, 2006, S. Thomazet)
[2] Scénarios d’évolution des instituts nationaux des jeunes sourds et des jeunes aveugles, mai 2018, F.Carayon et T.Leconte (IGAS) – P-R.Ambrogi (IGAENR) – R.Ferreira de Oliveira et G.Pétreault (IGEN)