The Conversation : « Marathon des JO 2024 : un fort dénivelé pour un suspens garanti »

Publié le lun 17 Oct 2022 Une foule de coureur s'élance au départ d'un marathon.

Cet article a été écrit par Baptiste Morel, maître de conférences et chercheur au Laboratoire Interuniversitaire de Biologie de la Motricité (LIBM), et est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Le marathon est une épreuve emblématique de course à pied consistant à parcourir une distance de 42,195 km. L’épreuve masculine des Jeux olympiques a lieu le dernier jour et la remise des médailles a le privilège unique de se dérouler pendant la cérémonie de clôture. Mais c’est aussi monsieur et madame Tout-le-Monde qui se lancent sur cette épreuve devenue symbole du dépassement de soi. Chaque année, plusieurs centaines de milliers de personnes participent aux rendez-vous mythiques de New York, Tokyo, Londres, Boston, Berlin, ou encore Paris. Cet engouement donne lieu aux plus grands rendez-vous sportifs de la planète. Si certains tentent de rallier la ligne d’arrivée pour arborer fièrement leur T-shirt de « Finisher », pour d’autres, cela sera l’occasion d’établir de nouveaux records.

Le 25 septembre dernier, Eliud Kipchoge, star kényane incontestée de la discipline, a établi une nouvelle marque de référence en 2 heures, 1 minute et 9 secondes. Comme les 7 précédentes fois lors de ces 20 dernières années c’est encore lors du Marathon de Berlin que le record est tombé, et ce n’est pas un hasard. Berlin est le terrain de jeu parfait pour performer lors d’un marathon : des grandes avenues toutes droites, les températures clémentes de l’automne et surtout… un parcours intégralement plat. En effet, les autres évènements qui attirent les grands noms du marathon présentent un léger dénivelé qui réduit la vitesse de croisière : 141 m à Tokyo, 217 m à Paris et même 416m à New York.

Le marathon « casse patte » des JO Paris 2024

Des records en tout genre pourraient tomber lors des prochains Jeux olympiques de Paris 2024. Mais s’il y a une discipline ou cela ne risque pas d’arriver, c’est bien le marathon ! Le 5 octobre dernier, le comité d’organisation a dévoilé ce qui sera sans doute le parcours plus exigeant de l’histoire des marathons de JO. Les athlètes trouveront sur leur parcours de 42 km près de 438 mètres de dénivelé en montée et autant en descente. Pour reprendre les mots du président du comité d’organisation Tony Estanguet lors de l’annonce du parcours « On a voulu casser les codes mais les athlètes nous ont dit : “vous allez surtout nous casser les pattes” ». Une belle promesse.

Parcours du marathon des JO Paris 2024. Paris2024

Si les marathons sont généralement globalement plats, certains présentent des dénivelés similaires. Par exemple à New York, on trouve également plus de 400 m de dénivelé. Mais la grande différence c’est que ce dénivelé est réparti progressivement tout au long du parcours avec des pentes relativement faibles. Au maximum, on y trouve une portion d’un kilomètre à 2,5 % de pente de moyenne.

Pour Paris 2024, c’est une autre histoire. La quasi-totalité du dénivelé sera concentrée en deux montées, dont la première s’étendra sur plus de 5 km et deux descentes avec des pentes dignes des plus grandes étapes du tour de France atteignant plus de 13 % sur certaines portions de la route du Pavé des Gardes.

Figure 1. Profil altimétrique de différents marathons (D+ : dénivelé cumulé sur l’ensemble de la course).

Lorsque l’on court, notre corps dispose d’une certaine puissance produite par nos muscles. Sur le plat, l’intégralité de cette puissance est dédiée à la vitesse de déplacement. En revanche, dès qu’une pente apparaît, une partie de la puissance disponible doit être utilisée pour monter ce qui entraîne une diminution de la vitesse de course par un phénomène de vase communicant. On pourrait se dire qu’il suffit d’attendre la descente pour récupérer le temps perdu. Malheureusement ça n’est pas si simple. Lors de la descente, il ne s’agit plus pour nos jambes d’accélérer notre corps mais plutôt d’éviter que tout s’emballe en freinant pour contrôler une vitesse raisonnable. Même si courir en descente permet d’économiser de l’énergie, dès que les pentes sont significatives la vitesse de course est diminuée afin que l’effort reste tolérable pour nos muscles.

Le trail, une discipline familière du dénivelé

Je mène mes recherches au cœur des alpes dans un laboratoire (LIBM, Université Savoie Mont-blanc) où nous étudions une activité ou le dénivelé est au cœur de la performance : le trail (ou course à pied en montagne). Dans cette discipline, des marathons existent aussi mais les dénivelés sont d’un autre ordre de grandeur. Prenons le marathon du Mont-Blanc, c’est plus de 2 500 m que les participants gravissent en 42km ! Les meilleurs mettront entre 3h30 et 4h pour terminer la course, soit presque le double de Kipchoge sur le plat. L’analyse de ces épreuves nous permettent de construire des modèles biomécaniques et physiologiques de la locomotion humaine afin de comprendre comment s’opère la perte de vitesse de course avec le dénivelé.

Nous pouvons notamment, à partir de ces modèles, prédire la perte de vitesse et de temps en connaissant le tracé d’une course. Si l’on compare les prédictions effectuées entre le marathon de Berlin qui fait office de référence, et le tracé de Paris 2024, les participants mettront, en moyenne, 2,5 % soit 3 minutes en plus. Cela n’a pas l’air bien grand si notre objectif est simplement de terminer un marathon. En revanche, aux Jeux olympiques, c’est ce qui sépare la médaille d’or d’une discrète 10e place. Le choix du parcours de Paris 2024 va donc, c’est certain, augmenter le temps de course et il sera difficile pour le vainqueur d’espérer descendre en dessous des 2 heures et 10 minutes.

Courir vite à plat ou en montée, il faut choisir

Les qualités physiques requises pour courir vite sur le plat ou en montée sont différentes et sont notamment liées à une propriété fondamentale des muscles et de la locomotion : la relation force-vitesse. Cette relation décrit que plus la force à produire est importante, moins il est possible de réaliser un mouvement rapide. En course à pied, la force est proportionnelle à la pente. Il est donc possible de courir vite sur le plat (force faible) mais de plus en plus lentement avec l’augmentation de la pente (force élevée). Chaque athlète possède son propre profile force-vitesse. Les spécialistes du marathon possèdent plus de qualité de vitesse alors que les traileurs sont capables de maintenir des niveaux de force plus élevés dans leurs épreuves d’endurance. C’est notamment la raison pour laquelle vous ne voyez pas un spécialiste de marathon gagner un trail et vice versa.

Dans le cadre du projet Predic’Trail porté par le laboratoire LIBM, nous évaluons le profil force-vitesse de coureur à pied amateurs et élites à partir des données GPS collectées lors de leur entraînement. Une fois le profil établi, il est possible de prédire la vitesse de course à chaque instant et le temps final de l’épreuve. Nous avons ainsi simulé le marathon de Paris 2024 chez plusieurs coureurs et le temps perdu varie en fonction des athlètes allant de 1 à 4 % ! Quand certains perdront 1 minute, d’autres en perdront 5.

Figure 2. Profile force-vitesse d’endurance en course a pied pour deux athlètes élites (gauche) et prédiction de leur temps de course sur le marathon de Berlin et des JO Paris 2024 (Droite). L’athlète B (violet) présente une capacité de vitesse plus importante et donc une meilleurs performance sur le marathon de Berlin alors que l’athlète A (jaune) possède une capacité de force plus élevée et une meilleure performance prédite sur le marathon des JO de Paris 2024.

Nul doute que les athlètes et entraîneurs sont déjà en train de planifier une préparation spécifique pour limiter la casse. Plus que de faire simplement durer le plaisir, le dénivelé proposé sur ce tracé va rebattre les cartes. Rendez-vous dans 18 mois pour un suspens garanti.The Conversation

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Contact : Baptiste Morel, maître de conférences et chercheur au LIBM