Entretien avec Jean-Jacques Delannoy, chargé de mission Grotte Chauvet pour l'Université Savoie Mont Blanc et directeur du laboratoire EDYTEM

Publié le mer 8 Avr 2015

Le 25 avril 2015, la Caverne du Pont-d’Arc, réplique de la grotte Chauvet Pont-d’Arc en Ardèche, ouvre ses portes. Parmi les nombreux scientifiques qui ont œuvré à ce gigantesque chantier, se trouvent des spécialistes du relief et du paysage du laboratoire Environnement, Dynamique et Territoires de Montagne (EDYTEM) de l’Université Savoie Mont Blanc.

Entretien avec Jean-Jacques Delanoy,  chargé de mission Grotte Chauvet pour l’Université Savoie Mont Blanc et directeur du laboratoire EDYTEM.

Q : Qu’est ce que la grotte Chauvet Pont-d’Arc ?
Jean-Jacques Delannoy : La grotte Chauvet Pont-d’Arc, en Ardèche, recèle les plus vieilles images connues de l’humanité soit 425 représentations animales dans un état de conservation exceptionnel. Elles datent de 36 000 ans. C’est à dire qu’il y autant de temps entre nous et la grotte de Lascaux (18 000 ans) qu’entre la grotte de Lascaux et la grotte de Chauvet Pont-d’Arc. La découverte de la grotte Chauvet Pont-d’Arc a complètement bouleversé la représentation qu’on avait de l’histoire de l’art. Ces images sont très abouties picturalement. Elles sont datées de la culture aurignacienne dont la vie culturelle était très aboutie (instruments de musique, art mobilier, ornementation en ivoire…).

Q : Pourquoi votre laboratoire EDYTEM a été sollicité pour travailler sur la reconstitution de la caverne du Pont-d’Arc  ?
Jean-Jacques Delannoy : EDYTEM, qui signifie Environnements, Dynamiques et Territoires de la Montagne, est un laboratoire interdisciplinaire qui regroupe les sciences de la terre, les sciences de l’environnement et les sciences humaines et sociales. Nous travaillons sur plusieurs objets communs, dont les grottes. Nous sommes un des rares laboratoires de France qui regroupe plus d’une dizaine de personnes travaillant sur les grottes avec différents champs de compétences. Cette vision très transversale du milieu souterrain permet d’aborder les grottes aussi bien du point de vue des mémoires paléoclimatiques et paléogéographiques, que de la ressource en eau, du tourisme souterrain, etc. C’est parce qu’on possède toutes ces compétences là, qu’on a été sollicité.

La grotte Chauvet Pont-d’Arc est étudiée depuis 1998 par une équipe scientifique pluridisciplinaire. Les préhistoriens étudient les dessins, les techniques artistiques et leur contexte culturel; les paléontologues, les nombreux ossements (plus de 4400) et les traces laissées par des animaux qui ont fréquenté la grotte, notamment les ours des cavernes; des physiciens mettent leurs compétences pour les datations des dessins et des occupations, etc. La géomorphologie, l’étude des formes des reliefs fait partie de ces disciplines. Plusieurs personnes du laboratoire ayant les compétences en géomorphologie et en modélisation 3D font partie de l’équipe scientifique.

chauvet

Q : En quoi a constitué votre travail pour la reconstitution de la Caverne du Pont-d’Arc ?
Jean-Jacques Delannoy : Une des premières difficultés du travail de reconstitution a été la taille de la grotte : 8 000 m², 600 mètres de développement total. Une réplique totale de la grotte Chauvet Pont-D’Arc était impossible. Il a donc fallu faire des choix pour présenter la diversité des œuvres ainsi que leurs inscriptions dans leurs paysages souterrains respectifs. Sa réplique, appelée la Caverne Pont-d’Arc se développe sur 3 500 m², et se situe à 3 kilomètres du site d’origine. L’une de nos missions a été justement de recréer une grotte à partir de l’enveloppe définie par les scénographes et architectes, et de redonner au travers de la morphologie, de la topographie, de la géologie et des paysages souterrains, l’illusion qu’on est dans la vraie grotte, afin de replacer les œuvres pariétales dans leur contexte géologique et paysager. Cela était important dans le sens où les techniques utilisées par le Paléolithique étaient adaptées à la nature et à l’état du rocher. Les membres du laboratoire ont travaillé pour cela en partenariat avec une entreprise qui a de très hautes compétences en traitement 3D (Perazio Engineering) et avec laquelle une convention de partenariat scientifique a été mise en place. Ce travail a été conduit dans le cadre d’un groupement d’entreprises, notamment Campenon Bernard (Grenoble) et en étroite interaction avec l’agence SCENE qui a conduit la maîtrise d’œuvre de la caverne.

Recréer l’environnement géologique de la grotte est essentiel car les hommes préhistoriques ont choisi les endroits où ils ont mis leurs œuvres selon les rochers, selon la nature des parois (plus ou moins humides), selon les formes de la grotte, etc. Cela permet de comprendre certains choix d’emplacement et de technique. L’accompagnement par le laboratoire de la réalisation de la Caverne entre dans un partenariat fort engagé avec le Syndicat Mixte de l’Espace de Restitution de la grotte Chauvet (SMERGC), qui regroupe le Département de l’Ardèche et la Région Rhône-Alpes. Il est utile de rappeler que ce sont ces deux collectivités territoriales qui ont été les moteurs pour la réalisation de la Caverne et de la Galerie de l’Aurignacien (centre de découverte).

Q : Des étudiants sont-ils impliqués dans ce travail ?
Jean-Jacques Delannoy : Un doctorant a été impliqué en partenariat avec le cabinet de 3D Pérazio dans le cadre d’une thèse. Il est aujourd’hui embauché par cette entreprise. Une autre étudiante réalise actuellement une thèse sur les impacts économiques, territoriaux, et touristiques du classement de la grotte au patrimoine de l’Unesco et de la reconstitution de la Caverne du Pont-d’Arc pour le Sud Ardèche.

Q : Maintenant que la caverne du Pont d’Arc est ouverte, quelle est votre rôle ?
Jean-Jacques Delannoy : L’objectif aujourd’hui est de valoriser cet objet touristique, culturel et scientifique, complètement nouveau. Nous voulons utiliser cette Caverne du Pont-d’Arc comme un lieu de formation car elle a été si fidèlement reproduite qu’on peut travailler dessus, développer des discours, former les étudiants et ils vont pouvoir y faire des exercices.

Un autre projet est celui d’IFREEMIS, c’est-à-dire, un institut de formation de recherche et d’expertise sur le milieu souterrain. On s’est rendu compte que beaucoup de personnes travaillent sur les grottes de manière cloisonnée. Il nous a semblé important de créer un nouveau lieu qui soit un lieu de rencontres, de travail en commun pour poursuivre l’expérience de la grotte Chauvet Pont-d’Arc.

« Biographie express » de Jean-Jacques Delannoy

  • Géomorphologue de formation
  • Développement d’une géomorphologie dédiée à l’étude souterrain
  • Enseignant chercheur à l’Université Savoie Mont Blanc
  • 1997 : arrivée à l’Université Savoie Mont Blanc
  • 2003 : création du laboratoire EDYTEM
  • 2000 : Intégration de l’équipe scientifique de la grotte Chauvet

Contact : Jean-Jacques Delannoy