Vieillir en santé, quels leviers pour s’adapter aux changements ?

Publié le mer 18 Juin 2025 Une dame âgée dans un fauteuil est représentée sur un écran au centre d'une salle, pour la projection d'un documentaire.

Vieillir est une réalité universelle, un processus intrinsèque à la vie, à la fois profondément personnel et résolument collectif. À mesure que notre société évolue et que notre environnement se transforme, les enjeux liés au vieillissement se diversifient. Mais ces défis sont aussi porteurs d’opportunités : ils ouvrent la voie à de nouvelles formes de résilience, d’innovation et de solidarité. Il est désormais essentiel de ne plus considérer le vieillissement uniquement sous l’angle du déclin, mais comme une succession de transitions – physiques, psychiques et sociales – qui exigent souplesse, créativité, et un engagement profond, tant humain que scientifique.

Le 4 juin 2025 a eu lieu, sur le campus d’Annecy, une Journée d’étude sur le vieillissement et l’adaptation au changement réunissant un public, de plus de 130 personnes, composé d’étudiants, de professionnels de santé, d’acteurs du secteur social et de personnes concernées du fait de leur âge, autour de différents formats : conférence, projection d’un documentaire et table ronde, suivis de nombreuses questions du public et d’échanges avec les intervenants.

Co-organisée par la Structure de Recherche Interdisciplinaire en Santé, Prévention & Qualité de Vie de l’Université Savoir Mont-Blanc (USMB), l’Institut des Transitions de l’USMB et le Conseil national autoproclamé de la Vieillesse, l’ambition de cette Journée était de créer un espace de dialogue pour explorer le vieillissement comme un parcours de transitions et d’adaptations à différentes échelles, individuelles comme collectives et réfléchir ensemble aux conditions d’un vieillissement digne, actif et inclusif.

Un public en nombre dans une salle ; venu assister à une conférence.

 

Comment soutenir l’autonomie des adultes âgés ?

Matthieu Debray, médecin gériatre au Centre hospitalier Annecy Genevois, rappelle que les pays occidentaux achèvent globalement la transition démographique qui s’est traduite par une inversion progressive de la composition de la population avec une supériorité numérique des plus de 60 ans. Cette transition est beaucoup plus brutale pour des pays dits émergents avec la nécessité d’une adaptation beaucoup plus rapide des systèmes de santé de ces pays aux besoins des personnes âgées.

Face à ce vieillissement démographique, les politiques publiques appellent, depuis plusieurs décennies, à un « vieillir en santé » sous entendant l’objectif de reculer le plus tard possible la survenue de difficultés fonctionnelles au risque d’une certaine stigmatisation du « vieillard dépendant » au profit d’une vieillesse « performante ».

Cet accompagnement d’un « vieillissement en santé » passe schématiquement par l’action conjuguée sur trois grands domaines :

  1. Action sur les maladies : de la prévention primaire (activité physique, alimentation, activités socio-culturelles mais aussi vaccination, lutte contre le tabagisme, l’alcool, les toxiques environnementaux etc.) au traitement des maladies chroniques dans un contexte généralement polypathologique avec en corolaire un risque lié à la polymédication ;
  2. Action pour soutenir l’autonomie fonctionnelle et sociale gage de la participation de la personne à la société, en adoptant une approche centrée sur la personne. Ce domaine questionne l’entretien des motivations avec l’âge, le développement de ressources socio-culturelles mais aussi la valorisation des métiers du grand âge indispensable au soutien à l’autonomie.
  3. Enfin, actions individuelles et collectives pour adapter l’environnement de vie qu’il soit domiciliaire ou public aux capacités de chacun garantissant l’accessibilité à la cité.

Adapter son logement à de nouveaux besoins

Concernant l’adaptation de l’environnement, a été présenté un programme d’étude « Bien vivre chez soi – les seniors prennent la parole ! ».

L’étude a été menée en partenariat par le Stabbi Lab (Laboratoire d’innovation en Santé basé dans les locaux du Centre hospitalier Annecy Genevois qui travaille en étroite collaboration avec l’écosystème de santé du territoire de la Haute-Savoie), l’AMF (Ameublement Français) et l’Institut technologique FCBA.

Tout particulièrement, la phase 2 qui a permis de mieux cerner les attentes des séniors en termes d’aménagement de leur domicile, de comprendre les difficultés qu’ils rencontrent et d’imaginer sous forme de « cahier inspirationnel » à l’attention des entreprises du mobilier, les « meubles de demain ».

Notons que parmi les 60 ans et plus, globalement un tiers déclare avoir anticipé l’adaptation de leur logement pour leurs vieux jours en réalisant des aménagements, un tiers y réfléchit à brève échéance et un tiers n’a pas initié la réflexion.  Parmi les aménagements effectués ou envisagés, dans 70% des cas cela concerne la salle de bains. Arrivent ensuite la chambre, la cuisine et le salon / salle à manger, dans des proportions plus faibles.

La motivation dans les activités de la vie quotidienne comme ressource du bien vieillir

Marine Beaudoin, chercheuse en psychologie au Laboratoire Inter-universitaire de Psychologie : Personnalité, Cognition, Changement Social (LIP/PC2S) a présenté ses travaux sur la motivation pour les activités cognitives comme ressource du vieillissement en bonne santé.

Un des risques du vieillissement est le désengagement, au fil du temps, des activités de la vie quotidienne qui impliquent des ressources cognitives ou physiques, lorsque ces activités deviennent couteuses en termes d’effort, comme tester une recette de cuisine, faire des petits travaux chez soi, lire le journal, faire une activité sportive etc.

Heureusement, il existe en chacun de nous, des ressources cognitives et motivationnelles mobilisables afin de rester actifs dans la vie quotidienne et socialement en vieillissant. Ces capacités cognitives et motivationnelles se nourrissent de l’engagement des individus, tout au long de leur vie, dans des activités professionnelles, éducatives et de loisirs intellectuellement stimulantes, c’est-à-dire qui permettent d’activer la réflexion, le raisonnement, la résolution de problèmes, la planification, etc.

C’est surtout le rôle de la motivation qui est essentiel pour maintenir l’engagement dans une activité. C’est-à-dire trouver du sens ou de la valeur à telle ou telle action, et se sentir apte à la réaliser.

Ainsi, afin de favoriser un vieillissement en bonne santé il est important de continuer à réaliser des activités de la vie quotidienne qui ont du sens pour soi et qui procurent du plaisir, et d’avoir la possibilité de s’y engager par choix. Pour des personnes en institution, le parcours de soin devrait prendre en compte l’auto-détermination des activités réalisées par les personnes âgées en leur laissant le choix des activités qui les motivent le plus et dans lesquelles elles se sentent bien.

pêle-mêle de scènes issues du documentaire Vivre, c'est veillir de Blandine Delcroix.« Vivre, c’est vieillir », un récit puissant et personnel sur le vieillissement d’un parent

Blandine Delcroix, réalisatrice, est venue présenter son documentaire « Vivre, c’est vieillir » qui à partir d’images intimes et sensibles suit les effets progressifs du vieillissement de sa mère.  Au plus proche de la réalité vécue, ce film propose une réflexion profonde sur la vieillesse, explore des questionnements existentiels et les réalités sociales d’une dimension essentielle de la condition humaine. De la première chute dans son logement, catalyseur du basculement vers une plus grande dépendance, jusqu’à sa résidence dans un EHPAD, mère et fille se voient, échangent et se soutiennent dans ce passage délicat du grand âge et d’une plus grande fragilité au quotidien.

Photo de gauche © Blandine Delcroix – Scènes issues du documentaire « Vivre, c’est vieillir »

Regards pluriels sur le vieillissement

Très émouvant et réussi ce documentaire a su toucher le public et les intervenants favorisant de nombreuses questions et échanges avec des intervenants réunis autour d’une table ronde : Blandine Delcroix, réalisatrice, Bérangère Legendre, directrice de l’Institut de recherche en Gestion et en Économie (IREGE), Dr Laurent MARTIN, gériatre et membre de la fondation du Parmelan, Lysiane Kubacsi, fondatrice de SéréniMouve et Virginie Reitzer Lopez, correspondante régionale au Conseil national autoproclamé de la Vieillesse (CNaV).

Avec leurs regards croisés, les intervenants ont partagé leur analyse du vieillissement et des enjeux associés.

La réalisatrice, Blandine Delcroix, a mis en avant, à partir de son expérience d’accompagnement de la vieillesse de sa mère, les représentations sociales de la vieillesse, et la difficulté à rester acteur de ses choix au grand âge.

La fin de carrière professionnelle, le travail des séniors et le recul de l’âge de la retraite ont été évoqués par Bérangère Legendre (IREGE). Les dispositifs d’accompagnement progressif vers la retraite comme la retraite progressive ou le cumul emploi retraite sont encore peu mobilisés.

En 2023, une personne de 55 à 61 ans sur cinq n’est ni en emploi ni à la retraite, une situation le plus souvent subie. (Insee)

Ce constat interpelle sur la nécessité de faire évoluer les politiques d’emploi et de formation tout au long de la vie en parallèle des réformes visant à prolonger la vie professionnelle. Ce n’est pas travailler plus longtemps qui pose problème mais travailler plus longtemps dans de mauvaises conditions. Le recul de l’âge de la retraite a un impact sur la santé, y compris mentale, des personnes qui ne travaillent pas dans un environnement soutenant. Ces derniers sont exposés à un risque accru de dépression.

Par ailleurs, bien que le système de retraite français intègre des mécanismes de solidarité, des inégalités subsistent entre hommes et femmes à la retraite. Elles sont le prolongement des inégalités à la fois salariales mais aussi d’accès à différents types de postes durant la vie active.

Virginie Reitzer Lopez, correspondante au CNaV, a évoqué la difficulté de la transition vers la vieillesse et le déni de la grande dépendance, notamment au regard de l’accueil en EHPAD où l’enjeu est de conserver la liberté et la dignité des résidents. Le CNaV, un est mouvement citoyen qui agit pour changer le regard sur les « vieilles » et les « vieux » dans la société et qui soutient pour chaque « personnes vieilles » la possibilité de s’auto-déterminer.

La société change, les vieux aussi, ainsi que leurs attentes.

En tant que médecin gériatre, le Dr Laurent Martin, a parlé de la vieillesse comme une transition, en citant des leviers pour pallier la dépendance. Notamment, l’anticipation des besoins futurs et la prévention des risques associés (maladie, isolement, activités, etc.).

78% des français redoutent de vieillir (Ipsos, 2024)

Mais l’EHPAD n’est pas une fatalité ! C’est ce que défend Lysiane Kubacsi, fondatrice de SéréniMouve qui accompagne les séniors dans leur parcours résidentiel et interroge le champ des possibles dans une démarche de prévention. Une prévention qui s’appuie sur un des rouages essentiels, le cadre de vie. Un logement et un environnement adaptés permettent de maintenir, prolonger et garder l’autonomie, gage de liberté, mais aussi le lien social : les ingrédients incontournables du bien vieillir ! C’est pour cela qu’il faut y penser lorsque l’on est en forme, physiquement et mentalement, pour s’offrir le luxe d’avoir le choix !

Où les gens veulent-ils vieillir et comment accompagner leurs choix ?

Les retours du public ont fait apparaître d’autres problématiques sur lesquelles développer une réflexion telles que les personnes ayant des besoins spécifiques comme une déficience intellectuelle, des douleurs chroniques, ou nécessitant un suivi en psychothérapie. Des participants ont mis en avant des bonnes pratiques comme la Résidence autonomie et l’habitat inclusif, notamment le modèle du béguinage.

 

5 invités sur une estrade pour échanger sur le vieillissement lors d'une conférence

Cette journée d’étude qui a su mobiliser un public averti et participatif au débat, doit certainement cet engouement au sujet débattu : le vieillissement. Selon les projections de l’Insee, « en 2050, près d’un habitant sur trois aurait plus de 60 ans, contre un sur cinq en 2005. Les proportions de jeunes et de personnes d’âges actifs diminueraient. Au 1er janvier 2050, la France compterait alors sept habitants âgés de 60 ans ou plus pour dix habitants de 20 à 59 ans. ».

Ces perspectives appellent à une réflexion continue sur le vieillissement, processus naturel, jalonné de multiples transitions qui nécessitent une capacité d’adaptation constante. La quête d’une qualité de vie optimale en avançant en âge met en évidence les défis posés par les mutations de la société, ainsi que la nécessité de s’ajuster aux changements à la fois internes (physiques, physiologiques, mentaux) et externes (environnement, logement, climat, lien social…).