Quand la réalité virtuelle vient en aide aux femmes traumatisées par l’accouchement

Publié le mer 16 Mai 2018

Des complications médicales, une césarienne en urgence ou un mauvais ressenti durant l’accouchement… Donner naissance à un bébé peut parfois se transformer en un événement particulièrement choquant pour la mère. Actuellement en France, peu de prises en charge spécifiques aux traumatismes déclenchés suite à l’accouchement sont disponibles. Pourtant environ 30% des femmes déclarent vivre l’accouchement comme une situation traumatisante et 5% développent un trouble de stress post-traumatique suite à l’accouchement soit approximativement 42 000 françaises par an.

Face à cette réalité, Anne Denis, maître de conférences en psychopathologie au Laboratoire Inter-universitaire de Psychologie – Personnalité, Cognition, Changement Social (LIP-PC2S) de l’Université Savoie Mont Blanc et psychologue à l’Unité Troubles Émotionnels et Développementaux rattachée au Laboratoire de Psychologie et Neurocognition (LPNC), épaulée par Issam-Eddine Zrelli, ingénieur d’études au sein de ces deux laboratoires, conçoit un outil thérapeutique de réalité virtuelle. Nommé « AccouZen », cet outil recrée une salle d’accouchement virtuelle afin d’immerger totalement la femme en temps réel dans l’environnement qui a développé son traumatisme.

Un outil de réalité virtuelle thérapeutique pour prendre en charge les troubles de stress post-traumatique suite à l’accouchement

« Ce qui provoque l’anxiété chez une patiente, ce n’est pas la réalité mais son interprétation de la réalité » explique Anne Denis. « Face à une situation qu’elle juge angoissante, elle aura tendance à fuir. S’appuyant sur les principes de thérapie comportementale et cognitive, nous lui proposons de s’y confronter pour que, petit à petit, elle s’y habitue tout en réfutant les fausses croyances qu’elle a développées spontanément suite au traumatisme. Mais au lieu de l’accompagner dans une salle d’accouchement, qui peut s’avérer impossible pour des conditions sanitaires et de disponibilité des espaces, nous lui mettons à disposition des outils capables de reproduire – quasiment à l’identique – les situations angoissantes ».

Équipée de lunettes 3D et de manettes, la patiente est plongée en totale immersion dans l’univers qu’elle redoute, la salle d’accouchement. La patiente interagit en temps réel avec des environnements créés par ordinateur. À l’aide du professionnel de santé, elle va pouvoir affronter ces situations anxiogènes de façon progressive et contrôlée.

« La patiente se retrouve immergée non pas en tant que spectatrice mais pleinement immergée dans le corps d’une femme enceinte. Une fois qu’elle porte les lunettes, elle voit ses mains virtuelles qui bougent et lorsqu’elle baisse la tête, elle découvre son ventre arrondi, celui d’une femme enceinte et se trouve dans une salle d’accouchement. L’idée n’est pas de refaire vivre l’accouchement, cela n’aurait pas de sens et c’est impossible, mais c’est de la ré-exposer à l’ensemble des stimuli qui lui ont fait peur (l’arrivée du gynécologue-obstétricien ou de la sage femme, la mesure de la dilatation, etc.) » raconte la chercheuse.

Destiné, en premier lieu, aux professionnels de santé prenant en charge des femmes traumatisées par l’accouchement – psychologues, psychiatres, gynécologues-obstétriciens, sages-femmes, psychothérapeutes – , ce dispositif leur permettra, à l’aide d’écrans d’ordinateur, de suivre l’immersion de leur patiente afin de maitriser et graduer cette exposition. À terme, ils pourront faire interagir, en temps réel, différents avatars (sage femme, gynécologue, étudiant en médecine, père, par exemple), les faire parler entre eux à l’aide d’un transformateur de voix ou encore incorporer toute une batterie de bruits qui peuvent être interprétés de manière plus ou moins anxiogène par la patiente (des bruits de pas qui courent dans le couloir, les cris d’une femme d’une chambre avoisinante, etc.).

Un prototype de cette première salle d’accouchement virtuelle a d’ores et déjà été réalisé au sein même du laboratoire, avec l’aide d’Issam-Eddine Zrelli.

« Issam s’est très rapidement passionné pour le projet, pour lequel il a développé la première salle d’accouchement virtuelle. Ensemble, nous l’avons créé de toutes pièces : l’environnement, l’avatar de la femme enceinte, etc. » commente Anne Denis.

En parallèle de cet outil thérapeutique, la chercheuse a l’ambition d’aller plus loin en proposant également un outil de prévention : une application Smartphone à destination du grand public qui remplira un objectif de prévention du trouble en donnant de l’information, des conseils, etc.

Un projet de sciences humaines et sociales accompagné et valorisé par la cellule Valorisation de l’USMB et la SATT Linksium

À la recherche de compétences et de financements pour développer ses outils, Anne s’est rapprochée de la cellule valorisation de la recherche de l’USMB. Encouragée par cette dernière, elle a participé au Challenge Out of Labs, organisé par la Société d’Accélération du Transfert de Technologies (SATT) Linksium. Lauréate du concours, elle bénéficie de l’expertise d’une chargée d’affaires thématique de la SATT Linksium, Gisela Schach, et du service de valorisation de l’USMB pour travailler sur le projet sur les plans technologique, propriété intellectuelle, marché, stratégie de valorisation, etc. ainsi que sur la présentation du projet devant le Comité d’investissement de Linksium.

De gauche à droite : Gisela Schach, chargée d’affaires thématique de la SATT Linksium ; Anne Denis, chercheuse au LIP-PC2S et porteuse du projet AccouZen et Anne Pons Walker, chargée de valorisation à l’USMB.

« Dans les sciences humaines et sociales, les chercheurs peuvent penser que les services proposés par la SATT ne nous concernent pas. En tant que chercheur en sciences humaines qui mène des recherches pour le grand public, on se demande parfois si c’est convenable d’entrer dans une démarche de commercialisation. Je pense que le débat est beaucoup plus large que cela, dans le sens où cette démarche de valorisation d’idée offre la possibilité qu’un projet, qui serait resté au sein d’un laboratoire, aboutisse sur un produit qui servira le plus grand nombre et qui sera diffusé nationalement voire internationalement » témoigne la chercheuse.

Les résultats des études de marché et des prises de contacts dans les hôpitaux et maternités ont révélé qu’une réelle demande existe de la part du corps médical. Ces études ont également permis de mieux cerner les attentes du public et de réfléchir à une possible évolution et déclinaison de l’outil afin d’être adapté aux différents profils qui l’utiliseront.

Présenté devant le Comité d’investissement de la SATT en novembre dernier, le projet a reçu un soutien financier dédié à la maturation des produits pendant 19 mois avec l’idée de créer à terme une start-up innovante. Le financement servira, entre autres, à embaucher un concepteur 3D, un ingénieur web pour améliorer l’interface virtuelle et l’application mobile. Sera également recruté un post-doctorant doté de compétences pour tester cliniquement le logiciel afin de valider les résultats et l’intérêt de l’outil d’un point de vue scientifique.

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