Première détection de l’émission de très haute énergie d’un sursaut gamma avec le LAPP

Publié le lun 25 Nov 2019

Après dix ans d’efforts, une collaboration de scientifiques, dont le Laboratoire d’Annecy de Physique des Particules (LAPP, CNRS – Université Savoie Mont Blanc) fait partie, a observé pour la première fois l’émission de très haute énergie d’un sursaut gamma. Cette découverte a été faite en juillet 2018 par le télescope géant de 28 mètres du réseau H.E.S.S. en Namibie. Elle est annoncée dans une publication de la collaboration H.E.S.S. dans la revue scientifique généraliste de référence Nature.

Ce sursaut gamma, un flash extrêmement énergétique produit à la suite d’un cataclysme cosmique, a émis des rayonnement gamma de très haute énergie pendant plusieurs heures après l’explosion initiale.

« C’est formidable d’avoir réalisé cette détection avec HESS, s’enthousiasme Armand Fiasson, physicien au LAPP, et c’est d’autant plus encourageant pour les observations à venir dans le cadre du projet Cerenkov Téléscopes Array, un réseau de télescopes conçus pour être à la fois plus rapides et plus sensibles. Avec le nouvel éclairage apporté par cette découverte majeure, les méthodes d’analyses toujours plus fines et les technologies qui se perfectionnent, nous nous attendons à détecter un grand nombre de sursauts gamma à très haute énergie, et à une compréhension bien plus fine de ce phénomène. »

Des explosions cosmiques extrêmement énergétiques et les plus lumineuses de tout l’Univers, comme la mort d’une étoile massive ou la collision de deux étoiles, sont à l’origine de sursauts gamma appelés GRB pour Gamma Ray Burst. Ces sursauts sont suivis par une phase plus longue d’émission dite rémanente principalement en optique et en rayons X, émission décroissant rapidement au cours du temps.

Le 20 juillet 2018, le détecteur de sursauts gamma GBM (Gamma-Ray Burst Monitor) à bord du satellite Fermi, suivi quelques secondes plus tard par le télescope spatial Swift, a émis une alerte sur les réseaux mondiaux concernant un sursaut gamma, appelé alors GRB 180720B. Dans la foulée de cette alerte, plusieurs observatoires terrestres ont immédiatement pointé dans la direction du sursaut gamma. Pour le réseau de télescopes H.E.S.S. (High Energy Stereoscopic System), cette position sur le ciel n’était observable qu’une fois la nuit tombée, soit dix heures plus tard. Néanmoins, l’équipe de H.E.S.S. a décidé d’observer cette position afin de rechercher une éventuelle émission durant la phase rémanente du sursaut. Après avoir cherché pendant plus de dix ans une signature de ces cataclysmes à très haute énergie, la collaboration a vu ses efforts porter leurs fruits.


Fig.1 – Le grand télescope central de H.E.S.S. télescope, doté d’un miroir de 614 m², et en second plan deux des quatre télescopes de plus petite taille, équipés chacun d’un miroir de 107 m².
Fig.2 – Un des sursauts gamma de très haute énergie, tel que vu par le réseau de télescopes H.E.S.S. La croix rouge indique la position du sursaut, déterminée à partir des mesures en optique.

Les données collectées durant deux heures, entre dix et douze heures après le sursaut, ont mis en évidence une nouvelle source d’émission gamma, ponctuelle, et coïncidant avec le sursaut. Si la détection d’émission gamma de très haute énergie en provenance d’un sursaut était assez largement anticipée, le fait que cette émission se prolonge des heures après le sursaut initial, pendant la phase rémanente, a constitué une véritable surprise. Ce sursaut a été détecté par le plus grand des cinq télescopes du réseau HESS, dont le LAPP a construit le système de débarquement de la caméra.

« La mesure s’est faite à la limite de la sensibilité de l’instrument, explique Armand Fiasson, il a donc fallu travailler de manière très fine sur l’analyse pour être sûrs qu’il ne s’agissait pas d’une simple fluctuation du bruit de fond. »

Un travail effectué principalement par Quentin Piel, étudiant en thèse au LAPP en collaboration avec Edna Velasco, étudiante en thèse à Heidelberg.

« Depuis 2016, grâce notamment au financement d’un post-doc et d’une thèse par le labEx Enigmass, le groupe du LAPP est très actif dans ce travail d’analyse des données afin notamment de mettre en place une méthodologie toujours plus efficace », précise Gilles Maurin, physicien responsable du groupe HESS au LAPP.

Le sursaut GRB 180720B était très intense, et dura environ 50 secondes, une durée relativement élevée indiquant probablement la mort d’une étoile massive. Dans ce processus, le cœur de l’étoile s’effondre pour donner un trou noir en rotation rapide. Le gaz environnant forme alors un disque d’accrétion entourant le trou noir, accompagné de jets de gaz éjectés perpendiculairement au disque d’accrétion et qui sont à l’origine des sursauts gamma : des particules accélérées dans les jets à des vitesses relativistes interagissent avec la matière et/ou le rayonnement et produisent alors de nombreux photons gamma.


Flux et spectre de GRB 180720B en fonction du temps @ Collaboration HESS

L’émission gamma de très haute énergie ainsi détectée démontre pour la première fois la présence de particules accélérées à des énergies extrêmes dans les sursauts gamma, et indique également que ces particules existent encore, voire sont créées longtemps après le sursaut initial. L’hypothèse sous-jacente la plus vraisemblable est la présence d’une onde de choc créée par l’explosion initiale, onde de choc se comportant comme un accélérateur cosmique de particules. Avant les observations de H.E.S.S., on pensait que cette éventuelle émission gamma de très haute énergie serait plus facilement observable pendant les premières secondes ou minutes après l’explosion, et beaucoup moins des heures après.

De nombreuses perspectives ouvertes par cette découverte

D’un point de vue astrophysique
Cette détection et les prochaines vont permettre de mieux comprendre la fin de vie des étoiles massives – en particulier comment se forment les jets de matière relativiste, comment ils accélèrent des rayons cosmiques et jusqu’à quelle énergie – et la création des trous noirs.

D’un point de vue cosmologique
Les sursauts gamma étant des phénomènes violents et particulièrement intenses, ils peuvent être détectés jusqu’au confins de l’Univers. Comme la vitesse de la lumière est finie, les photons que nous recevons, ont en réalité été émis il y a plus de 10 milliards d’années. Ils nous montrent ainsi l’Univers tel qu’il était à ce moment-là. Les sursauts longs provenant de l’effondrement des étoiles massifs vont nous permettre de mieux comprendre la formation des étoiles et donc de l’Univers tel que nous le connaissons.

D’un point de vue physique fondamentale
Les sursauts gamma permettent de tester plusieurs théories. Par exemple, la relativité restreinte implique que la vitesse de la lumière est la même quelle que soit l’énergie du photon (c’est ce qu’on appelle l’invariance de Lorentz). Grâce aux sursauts gamma, il est possible de vérifier que des photons d’énergies différentes émis en même temps arrivent sur Terre en même temps après avoir traversé l’Univers. S’il existe une différence non prévue, cela pourrait valider d’autres modèles de gravitation (gravitation à boucles, théorie des cordes, etc.). Les deux premières détections à haute énergie viennent d’être réalisées par les expériences H.E.S.S. et MAGIC. L’observatoire CTA composés d’une centaine de télescope, en cours de construction à La Palma (Iles des Canaries) et au Chili sera l’instrument idéal pour réaliser pleinement ces études, grâce à ses grands grands télescopes LST.

« Le LAPP est fortement impliqué dans la construction et l’exploitation de ces télescopes LST. Un prototype est actuellement en cours d’étude sur le site de La Palma. L’équipe de LAPP a d’ailleurs obtenu un distinction nationale : le cristal collectif du CNRS pour sa réalisation technique« , rappelle Gilles Maurin, enseignant-chercheur et responsable projet HESS au LAPP.

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