« Alpages volants », une opération pour étudier l’impact du changement climatique sur les sols de montagne

Publié le lun 15 Nov 2021 alpages volants edytem couv

Simuler une augmentation de 3°C sur les sols de montagne, c’est le principe du projet « Alpages volants » dans lequel sont impliqués des chercheuses et des chercheurs du laboratoire EDYTEM et du laboratoire CARRTEL de l’USMB, des laboratoire LECA et du LESSEM à Grenoble, et du Jardin du Lautaret (tous membres de la Fédération FREE-Alpes de recherche en écologie et en environnement dans les Alpes) pour tenter de prédire les conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité de nos montagnes.

UNE MANIPULATION SPECTACULAIRE

Il y a quelques semaines, des va-et-vient d’hélicoptères ne sont pas passés inaperçus au niveau du col du Lautaret à 2 100m d’altitude. Des scientifiques, dont Jean-Christophe Clément du laboratoire CARRTEL et Jérôme Poulenard du laboratoire EDYTEM, ont participé au prélèvement de morceaux d’alpage (sol et végétation) d’un mètre sur un mètre qui ont ensuite été réimplantés plus bas dans la vallée. Il s’agit d’évaluer l’impact du réchauffement climatique en simulant une augmentation de 3 degrés grâce à leur déplacement à une altitude plus basse.

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Simultanément des parcelles sont déplacées de l’étage alpin à 2 400m à l’étage subalpin à 1 700 et à 1 500 m d’altitude où il fait plus chaud. Des parcelles ont aussi été montées plus haut en altitude et d’autres ont été retirées puis repositionnées au même endroit pour servir de témoin ayant subi le même choc de transplantation que les autres parcelles étudiées. Avec l’ensemble de ces parcelles, les chercheurs créent les conditions expérimentales dont ils ont besoin pour mener leur recherche.

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Chacun des laboratoires impliqués dans le projet va ensuite, selon la spécialité de ses chercheurs, regarder l’évolution des morceaux d’alpage durant les cinq prochaines années. Ainsi le laboratoire LECA s’intéresse à l’évolution du vivant notamment celui des plantes. Ses chercheurs regardent si leurs caractéristiques (forme des feuilles, taille) mais aussi si leurs traits phénologiques (date et période de floraison, de fructification) évoluent avec cette augmentation de température. Avec ce changement climatique, d’autres chercheurs étudient, au niveau microscopique, des communautés de bactéries et de champignons en analysant l’ADN retrouvé dans le sol.

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Les chercheurs de l’USMB s’intéressent aux modifications des cycles biogéochimiques, c’est-à-dire au transport et à la transformation d’éléments chimiques (en particulier des trois grands éléments du vivant : carbone, azote, et phosphate), induits par ce réchauffement simulé. Ils étudient comment le changement climatique modifie la capacité du sol à stocker ou libérer des éléments dans l’atmosphère, faisant de lui un puit s’il en stocke ou une source d’éléments s’il en relache. Certains dérivés de ces éléments, comme le protoxyde d’azote, aussi appelé N2O, sont des puissants gaz à effet de serre qui, relâchés en grande quantité, accroissent le réchauffement climatique. D’un autre côté, les dérivés du phosphore peuvent être de très bons fertilisants, qui entraineront la croissance de la couverture végétale et la captation du CO2 grâce à la photosynthèse et donc le stockage de ce gaz à effet de serre. Il est donc essentiel d’évaluer la réaction des sols de montagne face au réchauffement climatique car l’augmentation du carbone atmosphérique est un problème sociétal et les sols de montagne sont connus pour stocker du carbone depuis 12 000 ans.

DES PREMIERS RÉSULTATS QUI INTERROGENT

Ces manipulations ont été initiées en 2016 mais depuis l’année dernière ce projet (du nom de TransAlp) est financé par l’ANR et ce pour cinq ans.

Les premiers résultats sont déjà visibles. Quand le sol se réchauffe, on observe une diminution de la quantité de carbone organique stockée dans le sol de l’ordre de 10%. On peut dire qu’avec le choc climatique le sol s’est d’abord comporté comme une source de carbone pour l’atmosphère. Les premiers résultats ont montré que le carbone perdu correspond à une matière organique fragile qui est plutôt abondante dans les sols de montagne.

alpages volants labo tests

De grandes questions se posent alors : existe-t-il une spécificité de sols de montagne qui pourrait se transformer, avec le réchauffement climatique actuelle, de puits de carbone à des sources de carbone ? Ces mécanismes, accentués par le choc thermique simulé, sont-ils aussi à l’œuvre dans le cas des réchauffements réels actuels ?  L’augmentation de la fixation de carbone par les plantes (augmentation de la production de biomasse par les plantes avec le réchauffement) peut-elle à long terme compensée cette libération du carbone du sol ?

UN PROJET PLUS GLOBAL

Ce projet de recherche « Alpages volants » s’inscrit dans une réflexion de recherche plus vaste. Depuis des années, des études sont menées sur les zones de retraits glaciaires, ces endroits laissés à nu par la fonte d’un glacier et qui n’ont certainement pas été à l’air libre depuis des milliers d’années. Quand le glacier se retire, un nouvel écosystème se forme avec le développement d’un nouveau sol, de nouvelles communautés de microorganismes, de plantes, d’animaux…. Connaissant l’âge des retraits glaciaires (et donc l’âge des écosystèmes nouvellement crées) les chercheurs sont en mesure d’étudier les processus de colonisation progressive et les vitesses de formation des écosystèmes alpins. Ils s’intéressent également, dans ce cadre, aux effets du réchauffement sur le stockage de carbone et de l’azote sur la stabilité des sols, la pollution, l’évolution de la biodiversité, etc.

À une autre échelle et dans la continuité de ces travaux, d’autres chercheurs travaillent, au sein du laboratoire EDYTEM, à reconstituer, grâce à l’analyse des sédiments retrouvés dans les lacs, l’histoire des écosystèmes de montagne depuis la dernière glaciation, il y a 12 000 ans. L’objectif de cette reconstitution est de mettre en lumière l’impact des humains sur l’évolution de ces territoires et notamment sur l’évolution et la dégradation des sols.

alpages volants montagnes

Crédit photos : Amélie Saillard, Fanny Dommanget, Giovanni, Jean-Christophe Clément, Julien Renaud. 

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